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des mots...

La danse…
«  Etre danseur, c’est choisir le corps et le mouvement comme champ de relation avec le monde, comme instrument de savoir, de pensée et d’expression. C’est également faire confiance au caractère « lyrique » de l’organisme, sans pour autant se référer à une esthétique ni à une mise en forme précise… Le tout étant de travailler d’abord aux conditions organiques de cette émergence poétique. Option féconde, le corps devient un formidable outil de connaissance et de sensation. »

…et le tout-petit
Il est une personne, un être humain que je vais rencontrer, avec qui je vais discuter, vivre un moment de partage. Il n’est pas moins intéressant parce que « rampant » : au contraire, cette posture au sol me convient tout à fait. En tant que danseur, je passe beaucoup de temps allongé au sol pour préparer le corps. Mon attachement au tout-petit vient sûrement de la redécouverte de cette posture  dans laquelle  je reconsidère mon rapport au monde.  Je partage un autre point avec lui : ce non- besoin de parole. Non, pas que nous ne parlons pas, mais que ce que nous vivons ensemble se passe de langage. Pour moi, être avec le tout-petit s’inscrit dans le fait d’être dans la danse.

Je le regarde…
Je le regarde pour ce qu’il est, en surprise de ses grandes capacités, qui me touchent. Je ne cherche pas à le penser plus grand. Je profite de l’immédiateté de son être. Cela m’oblige à m’inscrire dans sa réalité, dans son temps. Parfois, être en sa présence me déstabilise. Cette période est si courte ! Dans un an, avec ses petites jambes, il courra avec des mots qui racontent. J’aime observer son corps et sa façon de le vivre. Je prends conscience que son existence est faite d’expériences sans cesse renouvelées, de continuité et de changements.

…et je replonge
Quand je danse pour le petit, je replonge profondément dans mon propre corps d’adulte par le biais du sien. Je me replonge dans tous les schèmes fondamentaux. Je les ré-investis et je prends conscience de ma façon de les revisiter et, scrutent dans quelles émotions poétiques, ils m’emmènent,  pour  me les réapproprier et les redonner à lire. Le tout-petit m’offre l’expérience inouïe d’autres réalités, de nouvelles versions bouleversantes  de mon moi oublié.
J’aime ce travail de création pour le tout-petit. Avec lui, je me sens chez moi, en possible symbiose.  Nous avons du commun, des choses à partager, des élans que je me refuse en tant qu’adulte à oublier. Le tout-petit me permet d’être un adulte en dehors du champ conventionnel des représentations. Il m’offre la liberté, l’invention, l’exigence.
Si je propose des objets chorégraphiques, je danse aussi avec lui en « atelier », petits laboratoires pour chercher, creuser, affiner mon regard, me mettre en jeu, et surtout me faire surprendre. Il s’agit  juste d’être disponible à  cette petite individualité qui s’éveille au monde.  
Mon travail artistique se fait par lui, lui qui repousse toujours les limites du possible.  Il se livre à moi sans filtres, en toute confiance. C’est une grande responsabilité  que de danser avec lui !

Un partage d’expérience
Je parle bien d’expérience car je lui donne à voir, recevoir, percevoir  mes questionnements. Je tente de dialoguer avec lui sur un mode exigeant. Il est une personne avec des sentiments, des mémoires, des langages, des compréhensions. Dans le travail, pas  question de séduction ni  d’omission de son sens critique. Comme lui, j’aime prendre des risques. Rarement, il m’abandonne. Toujours  présent, il réagit, critique ou apprécie, me montre que je le perturbe. Je sens  son regard et sa reconnaissance parce qu’il sait que  je ne triche pas.  Je suis ce dont je suis porteur. Je me donne à lire entièrement, sans décoration, comme lui quand il expérimente. Ensemble, nous vivons  l ‘engagement total de soi.

Un lieu utopique
Le corps est un médium primordial. C’est avec lui que le petit fait connaissance avec le monde.  C’est son premier moyen de compréhension et de mise en relation avec l’autre. La danse s’appuie sur le corps comme outil de dialogue, lieu de l’imaginaire. Il est regrettable que l’adulte ait oublié son histoire commune avec l’enfant.
Je revendique la reconnaissance de ce savoir du tout-petit sur la potentialité du langage du corps. Fortement attaché en tant qu’adulte et spectateur à l’expérience kinesthésique, je  partage dans mon corps ce que l’autre en face me donne à vivre. Alors,  l’émotion s’installe et le dialogue devient possible.  C’est ce lieu utopique que je cherche toujours à recréer dans ma relation au tout-petit. En atelier, inviter le corps à devenir terre d’accueil, un lieu où se nicher, une cachette où s’abandonner ou, simplement, recevoir un signe d’autorisation,  de respect. Accorder de la valeur au geste effectué par le tout-petit, le reprendre pour soi, et donner à sentir que ce geste a un sens, une vérité.

Se mettre en tension
Un des sens  profonds du corps en mouvement dans la danse, c’est l’ouverture  des  imaginaires, les cheminements intérieurs propres à chacun, l’écoute sensorielle. La danse  parle à l’autre, convoque son imaginaire sans passer par un discours explicatif. Bien arrogant serait celui qui   prétendrait contrôler ce qui se partage entre le corps de l’artiste et celui du tout-petit.
La danse, en  sanskrit, signifie « se mettre en tension ». Danser avec ou pour les tout-petits s’incarne dans ce terme : établir une tension, un lien ouvrant à un dialogue subtil, impalpable mais possible… De ce dialogue naissent des rencontres intenses, inoubliables pour le chorégraphe : l’enfant s’approchant de l’artiste pour être pris dans ses bras à la fin d’une représentation, révèle la force de cet « être ensemble »… Un corps d’enfant qui devine l’état corporel  du danseur au point de devenir sa réplique exacte, les regards qui s’échangent…

Tisser de l’humain
Ces rencontres sensibles, singulières, autour du partage de la danse me sont essentielles. Elles déposent en moi des petits riens qui surgissent au gré de la création. Un geste me revient et, avec lui, la petite personne qui me l’a offert. Ma danse est habitée de ces gestes donnés, reçus et précieusement incorporés.  
Je sais, pour avoir retrouvé, quelques années plus tard, des enfants qu’ils conservent en eux ces gestes que nous avons partagés dans nos rencontres muettes.
Nous nous construisons avec ces gestes, fils invisibles, ténus et tendus  entre nous, qui tissent silencieusement nos vies.



 

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