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…et je replonge

Quand je danse pour le petit, je replonge profondément dans mon propre corps d’adulte par le biais du sien. Je me replonge dans tous les schèmes fondamentaux. Je les ré-investis et je prends conscience de ma façon de les revisiter et, scrutent dans quelles émotions poétiques, ils m’emmènent,  pour  me les réapproprier et les redonner à lire. Le tout-petit m’offre l’expérience inouïe d’autres réalités, de nouvelles versions bouleversantes  de mon moi oublié. J’aime ce travail de création pour le tout-petit. Avec lui, je me sens chez moi, en possible symbiose.  Nous avons du commun, des choses à partager, des élans que je me refuse en tant qu’adulte à oublier.  Le tout-petit me permet d’être un adulte en dehors du champ conventionnel des représentations. Il m’offre la liberté, l’invention, l’exigence.Si je propose des objets chorégraphiques, je danse aussi avec lui en « atelier », petits laboratoires pour chercher, creuser, affiner mon regard, me mettre en jeu, et surtout me faire surprendre. Il s’agit  juste d’être disponible à  cette petite individualité qui s’éveille au monde.  Mon travail artistique se fait par lui, lui qui repousse toujours les limites du possible.  Il se livre à moi sans filtres, en toute confiance. C’est une grande responsabilité  que de danser avec lui !

Un partage d’expérience

Je parle bien d’expérience car je lui donne à voir, recevoir, percevoir  mes questionnements. Je tente de dialoguer avec lui sur un mode exigeant. Il est une personne avec des sentiments, des mémoires, des langages, des compréhensions. Dans le travail, pas  question de séduction ni  d’omission de son sens critique. Comme lui, j’aime  prendre des risques.  Rarement, il m’abandonne. Toujours  présent, il réagit, critique ou apprécie, me montre que je le perturbe. Je sens  son regard et sa reconnaissance parce qu’il sait que  je ne triche pas.  Je suis ce dont je suis porteur. Je me donne à lire entièrement, sans décoration, comme lui quand il expérimente. Ensemble, nous vivons  l ‘engagement total de soi.

Un lieu utopique 

Le corps est un médium primordial. C’est avec lui que le petit fait connaissance avec le monde.  C’est son premier moyen de compréhension et de mise en relation avec l’autre. La danse s’appuie sur le corps comme outil de dialogue, lieu de l’imaginaire. Il est regrettable que l’adulte ait oublié son histoire commune avec l’enfant.Je revendique  la reconnaissance de ce savoir du tout-petit  sur la potentialité du langage du corps. Fortement attaché en tant qu’adulte et spectateur à l’expérience kinesthésique, je  partage dans mon corps ce que l’autre en face me donne à vivre. Alors,  l’émotion s’installe et le dialogue devient possible.  C’est ce lieu utopique que je cherche toujours à recréer dans ma relation au tout-petit. En atelier, inviter le corps à devenir terre d’accueil, un  lieu où se nicher, une cachette où s’abandonner ou, simplement, recevoir un signe d’autorisation,  de respect. Accorder de la valeur au geste effectué par le tout-petit, le reprendre pour soi, et donner à sentir que ce geste a un sens, une vérité.

Se mettre en tension

Un des sens  profonds du corps en mouvement dans la danse,  c’est l’ouverture  des  imaginaires, les cheminements intérieurs propres à chacun, l’écoute sensorielle. La danse  parle à l’autre, convoque son imaginaire sans passer par un discours explicatif. Bien arrogant serait celui qui   prétendrait contrôler ce qui se partage entre le corps de l’artiste et celui du tout-petit.La danse, en  sanskrit, signifie « se mettre en tension ». Danser avec ou pour les tout-petits s’incarne dans ce terme : établir une tension, un lien ouvrant à un dialogue subtil, impalpable mais  possible… De ce dialogue naissent des rencontres intenses, inoubliables pour le chorégraphe : l’enfant s’approchant de l’artiste pour être pris  dans ses bras à la fin d’une représentation, révèle la force de cet « être ensemble »… Un corps d’enfant qui devine l’état corporel  du danseur au point de devenir sa réplique exacte, les regards qui s’échangent…

Tisser de l'humain

Ces rencontres sensibles, singulières, autour du partage de la danse me sont essentielles. Elles déposent en moi des petits riens qui surgissent au gré de la création. Un geste me revient et, avec lui, la petite personne qui me l’a offert. Ma danse est habitée de ces gestes donnés, reçus et précieusement incorporés.  Je sais, pour avoir retrouvé, quelques années plus tard, des enfants qu’ils conservent en eux ces gestes que nous avons partagés dans nos rencontres muettes.Nous nous construisons avec ces gestes, fils invisibles, ténus et tendus  entre nous, qui tissent silencieusement nos vies.

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